Elmore D
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

D.B: Peux-tu te présenter?

E.D : Je m'appelle Daniel Droixhe et je joue sous le nom d'Elmore D depuis quelques années, j'ai aujourd'hui 56 ans.

D.B : Depuis combien de temps es-tu dans le circuit du blues ?

E.D : Je joue du blues depuis le milieu des années soixante ; en famille pendant une vingtaine d'années, tous les dimanches après-midi avec mes beaux-frères qui m'ont donné le nom de Elmore D à cause d'Elmore James. Les choses ont changé à la fin des années quatre-vingt suite à un concours à Bagneux, à l'occasion de la tournée du Chicago Blues Festival. J'y ai  joué en compagnie de Mark Thys (TEE), qui commence à être très connu en dehors de la Belgique. Depuis j'ai rencontré la " filière anversoise " logée au Crossraod Café à Anvers, qui est la Mecque du blues belge ; dès lors les choses ont pris plus d'ampleur.

D.B : Qu'est ce qui t'a donné l'envie de te " lancer " dans le blues et quelles sont tes influences ?

E.D : En fait, c'est très banal. Comme beaucoup de gens, j'ai commencé avec les groupes anglais : Rolling Stones, Pretty Things. Mais je me suis assez vite orienté vers le Mississippi blues et le blues traditionnel en écoutant des artistes tels que Skip James, Robert Johnson, etc.

Par la suite je me suis beaucoup intéressé aux guitares douze cordes, dont j'essaie de faire ma spécialité, en m'inspirant notamment de Blind Willie McTell.

D.B : Lorsque je t'ai vu à Peer en 2000, tu avais interprété un morceau folklorique, une chanson de marin ; tu restes donc assez attaché aux traditions et à la culture de ton pays ?

E.D : C'est vraiment un souvenir belge très personnel, parce que la chanson, Drunken Sailor, qui date du 19e siècle, avait été reprise et popularisée dans les années soixante par  musicien belge, Ferré Grignard, aujourd'hui décédé, que j'ai vu plusieurs fois en concert. J'ai retrouvé le texte original de la chanson. Ferré Grignard, qui habitait Anvers (déjà !) était un musicien très créatif, typique, à qui autrefois Johnny Hallyday a emprunté une chanson ( My Crucified Jesus, dans l'original).

Malheureusement Ferré Grignard n'a pas eu une carrière très heureuse ; il était assez souvent éméché quand  il chantait cet air du " marin ivre ", que tout le monde connaissait en Belgique et dont j'ai fait une version en dialecte que je n'ai pas encore enregistré et qui reproduit le texte d'assez près. C'est un fait que la chanson avait été bien reçue à Peer. C'était émouvant, pour moi, d'entendre quelques milliers de personnes reprendre le refrain.

S.B : Justement, c'est ta touche personnelle d'adapter ou de créer des morceaux en dialecte. Alors de quel dialecte s'agit-il et pourquoi cette démarche ?

E.D : Il s'agit du wallon de Liège (ou de Herstal, ma ville natale),  que je connais surtout par ma grand-mère. L'idée d'écrire en patois m'était venue il y a assez longtemps, au début des années '80. J'avais fait à l'époque une version wallonne d'un morceau de Fleetwood Mac (My Heart Beats Like A Hammer), qui avait plu aux radios puisqu'on a voulu me l'acheter. J'ai recommencé il y a environ quatre ans. Pour moi, écrire des chansons en dialecte est plus facile qu'en français ou en anglais. J'ai actuellement en réserve une demi-douzaine d'adaptations de titres de Big Bill Broonzy ( This Train), de Blind Boy Fuller  (If You Think I'M Crazy Bout You), etc. J'essaie de composer des textes originaux, éventuellement politiques, comme le faisait justement Big Bill Broonzy. C'est dans ce sens que j'ai adapté Sylvester And His Mule Blues de Memphis Minnie, en rapport avec le déclin économique de la Wallonie et du Nord de la France. Ce New Sylvester Blues figure sur mon premier album, Basse-Moûse Blues (Le Blues de la Base-Meuse), et Christian Esther a bien voulu le reprendre sur la compilation Blues Against Racism. C'est aussi une préoccupation politique qui m'a orienté vers Leadbelley que je n'appréciais pas trop autrefois, mais que je découvre actuellement : ça tient aussi à ce que j'ai acquis deux Stella douze cordes de type Leadbelly. Nous jouons de lui le morceau Take This Hammer et Pick A Bale Of Cotton, un chant de travail limité à deux accords : comme dit Keith Richards, cinq cordes suffisent pour interpréter les plus beaux blues. On reproche souvent au blues d'être une musique harmoniquement limitée. Je trouve pour ma part que la progression de type mi-la-si en douze mesures en dit parfois trop, est surchargée. On peut compter sur les doigts d'une main, dans un festival, les titres en huit mesures, sur le modèle de Sittin' On Top Of The World, Crow Jane ou It Hurts Me Too. Une composition sur deux accords, comme Number Three Blues de Buddy Boy Hawkins, est tellement prenante.

D.B : Ton dernier album a été repris par Frémeaux, comment ceci s'est-il produit et ressens-tu les effets de cette plus large distribution ?

E.D : Au départ j'ai tiré cet album à 300 exemplaires ; quand il ne m'en restait qu'une demi-douzaine, je me suis dit que je pourrais en envoyer à quelques firmes.Possédant des intégrales de blues de chez Frémeaux  et appréciant leur manière de travailler, j'ai décidé de leur envoyer une de mes dernières copies, sans vraiment y croire. Une bouteille à la mer. Ils m'ont répondu très vite et, en effet,  je suis assez fier de figurer dans leur catalogue, en compagnie d'artistes comme Benoît Blue Boy (j'ose à peine mentionner les autres musiciens, des années '30 et suivantes, qui figurent dans la collection " classique " : nous ne sommes que de vilains imitateurs, à côté - mais puisqu'on ne peut pas s'empêcher de se faire plaisir en leur rendant hommage!). L'accord de Patrick Frémeaux a bien sûr donné au CD Saturday Night Rub une exposition infiniment plus large. On a juste changé la pochette et renoncé aux transcriptions de textes en wallon, ce que certains trouvent dommage.

Pour le reste, je ne peux pas dire que les contrats affluent.  Je dois être un peu " répulsif " à cause de mon statut de musicien non-professionnel, pas toujours libre. Mon emploi du temps est très chargé et en semaine, je ne peux que rarement participer aux " Blue Mondays ".

Les musiciens de l'Elmore D Band, Lazy Horse, Willie Maze et Big Dave, sont totalement ou en partie professionnels. Ils  voudraient qu'on joue davantage. Mais je n'ai déjà plus trop de temps pour m'entraîner à la maison et apprendre de nouveaux titres (de sorte que j'oublie assez facilement mes propres textes, ce qui fait moyennement rire mes camarades de l'Elmore D Bd). Je travaille actuellement des morceaux difficiles pour moi, à la fois du point de la musique et du texte : par exemple le Southern Can Mamma de Blind Willie McTell. ON se demande comment il pouvait " piquer " à la douze cordes avec cette netteté, cette précision.

Dans le même genre : j'étais hier dans les Pyrénées, à Moulis, chez des amis belges, Marlène et Marc Claes, qui m'ont fait découvrir une vidéo avec Sam Chatmon, du groupe les Mississippi Sheiks, des années trente. Sam Chatmon, devait avoir près des 80 ans, quand on l'a enregistré dans ce festival.  C'était réconfortant (on peut espérer avoir encore quelques années musicales devant soi). et décourageant : impossible, pour moi, d'approcher vraiment ce qu'il fait à la guitare. Idem pour Fred McDowell. Tu as vu ses vidéos éditées par Stefan Grossmann ? Tu regardes sa main bouger, tu entends la musique, et tu ne saisis par le rapport.

Ce n'est pas dans les livres d'instruction qu'on apprend sa manière de jouer.

D.B : Par rapport au disque, comment se déroulent tes concerts, est-ce assez proche ou aimes-tu improviser et bousculer tes habitudes à chaque prestation ?

E.D : La première chose que je bouscule, c'est le groupe, parce qu'on ne suit jamais le programme établi ! En outre, on modifie beaucoup et à chaque fois les titres figurant sur Saturday Night Rub. Je n'en joue pas certains, dont j'oublie toujours le tempo, le texte, etc.

S.B : Quels sont tes projets pour l'avenir ?

E.D : Peut-être enregistrer quelque chose avant la fin de cette année. J'ai quelques titres originaux en wallon, dont une bonne part de ré-interprétations de compositions des années 30. J'aime autant ne pas m'avancer à ce sujet.

D.B : En conclusion, comment se situe cette scène de blues belge qui est très active ? Penses-tu qu'elle va encore faire plus parler d'elle dans les années à venir ?

E.D : La pénétration du public francophone par les groupes belges est assez lente, elle se prépare depuis des années. Je crois que j'en connais bien les ressources. Un groupe comme les Electric Kings, qui atteignait le sommet au milieu des années 1990, est devenu quasi-mythique, comme El Fish, également disparu, du moins en tant que tel. Ces musiciens montraient à la fois une qualité technique inégalée et un esprit d'aventure qui s'est peut-être affaibli. Je retrouve cet esprit dans le nouveau groupe de Big Dave, 44 Rave, qui a du mal à faire son chemin sur la scène blues, parce que trop expérimental, à mon avis. Last Call est une valeur sûre, que ma femme et moi venons de voir à Cahors, de même que les Seatsniffers, dont le batteur, Piet De Houwer, a joué aussi avec moi et mon fils dans les années '90.

En Belgique, la scène flamande est évidemment la plus riche avec près de 200 groupes de blues répertoriés. C'est dû à une tradition d'intérêt pour la musique, à quoi se joint aujourd'hui une grande créativité dans le domaine de la mode, des beaux-arts, etc .

Pour le reste, je crois qu'internet et les radios associatives changeront totalement le paysage blues. Le nombre de gens que j'ai pu rencontrer sur le net, en quelques mois, est impressionnant.

J'ai beaucoup voyagé, naguère, mais je trouvais que les rapports entre les régions, d'un point de vue musical, était quasiment inexistant. Internet va produire, à mon avis, de nouveaux publics de plus en plus spécialisés. On peut aujourd'hui facilement rentrer en contact avec des fans de Blind Lemon Jefferson ou du Memphis Jug Band, voire de Cornelius Bright et du blues de Bentonia! De même, on peut entrer en contact avec des groupes étrangers ayant le même répertoire. C'est le cas de l'Electric Rag Band, qui fait dans l'Oklahoma une musique proche de la nôtre, avec des reprises de Kansas Joe Mc Coy, de Blind Boy Fuller, etc. C'est, pour moi, une partie de l'avenir du blues.

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Interview réalisée à Cognac en juillet 2002

Propos recueillis par David BAERST

 

 

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